Héritage

Mouna Tahanout
3 min readMay 30, 2022

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Mouna Tahanout

Aujourd’hui ma grand-mère est morte. Ce matin ma sœur m’a appelé et d’une voix laconique m’a dit: “tu as entendu la nouvelle ?, notre grand-mère est décédée”. Je n’ai manifesté aucune surprise sur le moment. J’ai rapidement fredonné la formule consacrée “Que Dieu ait son âme”. Comme si j’avais une quelconque connaissance de l’âme humaine s'il en existe une. Et combien même on aurait une âme, ou se situe-t-elle et comment la percevoir ? J’ai encore moins de connaissance en matière de dieux. J’ai donc prononcé une phrase à laquelle je ne comprenais rien. Mais elle me permettait de balayer la question de la mort et c’est le seul avantage que je lui trouve.

Mourir est la seule certitude de toute vie humaine. Or, nous ne savons rien de la mort. Subsisterons-nous après la mort comme le dit Platon dans le Phédon ? Ou allons-nous tout simplement pourrir sous terre et redevenir une partie d’elle, un peu comme du compost! Je n’en sais rien. Il est rassurant et terrifiant à la fois de se dire que nous sommes éternels. Personnellement, je ne sais pas si j’ai envie de vivre après la mort. Je crois que si je devais choisir, je choisirai de mourir une bonne fois pour toute.

Le décès de ma grand-mère annoncé. Nous sommes passées au sujet suivant. Nous avons parlé de nos parents, du temps qui passe et des problèmes universelles de toute vie humaine. Une heure plus tard, nous avons raccroché.

Je me suis alors retrouvée, seule. L’insupportable situation d’être seule avec soi-même. Vous savez, ce sentiment de séparation qui se manifeste à chaque moment de solitude. Un dialogue sans fin semble toujours prêt à occuper le terrain au moindre moment de silence. Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi l’esprit humain est ainsi fait? Ne peut-il pas tout simplement se taire quand ce n’est pas nécessaire et se manifester en cas de besoin ? Cela faciliterait drôlement nos piètres existences.

Pour tuer cet état d’être donc, j’ai ouvert mon ordinateur sans savoir ce que je voulais faire dans le monde virtuel qui allait s’ouvrir à moi. J’ai décidé d’ouvrir mes dossiers photos, et après quelques recherches dans de vieux dossiers, je suis tombée sur une photo de la mère de ma mère. J’ai longuement regardé la photo. Mais toujours aucune émotion. Rien. Je ne ressentais rien suite au décès de ma grand-mère. Comment est-ce possible ?

J’ai alors essayé de me remémorer des moments que j’ai passé avec elle et qui susciteraient peut-être chez moi une émotion. Mais rien. Toujours rien. J’étais indifférente au décès de ma grand-mère. L’idée de me retrouver face à moi-même était insupportable. J’ai alors mécaniquement ouvert mon Facebook. Et l’annonce de ma sœur s’est confirmée. Des dizaines de photos de ma grand-mère ont défilé devant mon écran. Mes cousines et cousins ont accompagné les photos de petits textes maladroits. La majorité parlait de tristesse et de ce que fut ma grand-mère pour eux.

L’un des textes m’a particulièrement surpris. Le cousin en question disait que ma grand-mère était aimante. Une vague d’incompréhension a secoué ma poitrine. Je sais que les réseaux sociaux servent à mentir aux autres et à se soi-même. Mais là, ça dépasse tout entendement. J’ai relu plusieurs fois la phrase. Et des mémoires entières ont commencé à envahir mon esprit.

Ma grand-mère n’a jamais montré aucun signe d’amour à qui que ce soit. Elle était dépourvue d’amour comme certains sont dépourvus de goût ou d’odorat. Durant toute mon enfance, elle ne m’a jamais laissé occuper son giron. Elle me chassait par tout ou elle me voyait. Elle n’avait aucun problème à me dire ouvertement qu’elle me détestait. J’ai ainsi au fil des ans, développé un rejet envers elle si profond que je ne supportais quasiment plus sa vue.

Héritage : partie 1

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